La fistule



Dans le monde entier, une des pires choses qui puisse arriver à une femme jeune est une fistule, cette lésion interne causée par un accouchement (ou parfois de viol) qui la laisse totalement incontinente des urines, parfois des selles, humiliée et souvent repoussante.
Ces femmes sont les lépreuses du XXIe siècle. C’est une honte de l’humanité … Ce calvaire est invisible mais terrible car il occupe la femme atteinte toutes les 24 heures de son temps. Elle lave ses linges de protection du matin au soir. Ces femmes vivent un handicap fonctionnel et social grave, elles en sont tristement stigmatisées.

La fistule est un drame silencieux, invisible et constitue, aujourd’hui, la morbidité la moins prise en charge dans le monde. Les victimes atteintes vivent dans les pays pauvres et ont, contre elles, trois drames cumulés : elles sont pauvres, elles vivent dans la ruralité et sont des femmes, donc sans voix car elles sont systématiquement exclues de l’éducation, du droit à la propriété, exclues des emplois et de tout recours après avoir été battues, violées ou mariées contre leur gré. Elles sont le plus souvent seules et souvent sans enfants … Elles sont des mortes-vivantes … On parle plus aujourd’hui des rares fistules génitales liées aux violences de guerre que des fistules obstétricales …

Qu’est une fistule obstétricale : La fistule obstétricale est une des lésions les plus graves et les plus dangereuses susceptibles de survenir lors d’un accouchement. Il s’agit d’une perforation entre le vagin et la vessie et/ou le rectum, due à un travail prolongé et qui se produit en l’absence de soins obstétricaux rapides et de qualité. Un accouchement normal ne dure pas plus longtemps que 10 heures.

Le soleil ne doit pas se coucher deux fois sur le même travail d’accouchement (proverbe malien)

En cas de travail prolongé et d’accouchement qui n’avance pas, les tissus situés entre le vagin et sa vessie ou son rectum sont endommagés par la pression continue de la tête du bébé coincée dans le canal utérin. L’enfant est finalement libéré, il est le plus souvent décédé et les tissus morts par manque d’irrigation sanguine tombent, ce qui crée un trou à travers lequel la femme perd en permanence de l'urine, des selles ou parfois les deux. Cela entraîne à plus long terme des problèmes médicaux chroniques.

Deux millions de femmes et de filles vivent avec ces lésions en Afrique sub-Saharienne, en Asie, dans certains États arabes ainsi qu’en Amérique latine et aux Caraïbes, et entre 50.000 et 100.000 nouveaux cas surviennent encore chaque année.

Si ces circonstances peuvent être favorisées dans les contrées où les femmes, victimes de malnutrition et de mariage précoce, présentent des bassins trop étroits, le principal facteur déterminant reste un manque d’accès sans délai à des soins obstétricaux de qualité et en particulier à la césarienne.

Il est donc pourtant possible de prévenir la fistule obstétricale en améliorant la prise en charge médicale de la femme enceinte. Un travail d’accouchement bloqué et prolongé ne peut se résoudre que grâce à une césarienne indisponible pour ces femmes.

La grande majorité des fistules uro-génitales sont donc de cause obstétricale mais peuvent être aussi causées en raison d’un accident chirurgical lié à une chirurgie gynécologique (césarienne ou hystérectomie)
La fistule uro-génitale peut être causée par une violence au sein des familles avec des sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin. Les mutilations génitales d’excision et d’infibulation et autres pratiques sont encore trop fréquentes dans certains pays.

Par ailleurs peu d’attention avait été portée aux fistules génitales traumatiques pouvant résulter d’agression sexuelle violente, en situation de conflit dans le monde entier. Le Dr Pr Denis Mukwege en a fait une révélation mondiale au début de ce siècle, en rapport avec la situation géopolitique du Kivu en RDC.

Ainsi, bien que les schémas de classification des fistules uro-génitales et les causes puissent différer, le résultat final est le même : l’incontinence totale d’urine et/ou de selles.
Le désagrément provoqué par cet écoulement permanent empêche toute vie sociale. Dans un premier temps, en raison des odeurs constantes, ces femmes sont exposées à l’exclusion et à la stigmatisation. Elle se croit envoutée. L’isolement social accentue la pauvreté ajoutant ainsi la malnutrition.
La compression locale prolongée lors de l’accouchement est également responsable de lésions tissulaires extensives qui peuvent entraîner des atteintes des organes proches ou des pathologies multi-systémiques regroupées sous l’appellation de « Obstructed labour injury complex ».
Des atteintes aussi diverses qu’un rétrécissement scléreux du vagin interdisant tout rapport sexuel, des douleurs pelviennes constantes, une infertilité définitive, une infection de la symphyse pubienne ou une paralysie de certains groupes musculaires des membres inférieurs par compression nerveuse peuvent alors être rencontrées. Les infections rénales à répétition et l’insuffisance des reins mettent finalement la vie de ces femmes en danger. Ainsi, les femmes qui en souffrent sont souvent condamnées à la dépression et atteintes de désespoir. Elles deviennent des « fantômes » vivantes.

La prévalence de la fistule obstétricale est un véritable indicateur de santé publique qui résume à lui seul le faible niveau atteint de la politique de santé maternelle et infantile dans le pays considéré. Dans ces pays, certains gouvernants restent honteux de ce fléau et en arrivent à en nier la réalité.

Bien qu’elle ait quasiment disparu de nos pays modernes depuis plus d’un siècle, il peut paraître étrange que cette pathologie liée à la tragédie humaine soit si peu connue chez nous, du grand public, des médias et même des professionnels de la santé.

Heureusement, dans les pays sus-cités, plusieurs prestataires de soins nationaux et internationnaux ont eu à accueillir des femmes, et parfois très jeunes filles souffrant de fistules vésico et recto-vaginales.

Toutefois, l’expertise médico-chirurgicale dans le domaine de cette pathologie reste limitée, et l’échange de stratégies et d’outils de prise en charge de ce problème demeure minimaliste. Il manque souvent aux structures sanitaires les équipements et matériels nécessaires pour le traitement de la fistule. L’insuffisance des ressources financières, matérielles et humaines constitue un obstacle à de bonnes prestations de services de traitement et de suivi de la fistule.

Les Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), la Fistula Foundation et d’autres organisations internationales se sont donnés des objectifs d’éradication de ce fléau féminin …

R.Andrianne et X.Capelle